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  • Writer's pictureMiguel Garre

Management algorithmique

Management algorithmique, quelle avancée avec la directive européenne sur les travailleurs de plateformes ?


Le management algorithmique ne concerne pas que les travailleurs de plateforme. L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le recrutement, la planification des horaires, l’enregistrement des frappes de clavier, s’applique désormais largement dans le monde du travail, mais les travailleurs de plateformes cristallisent la réflexion parce que le modèle économique de la plateforme suppose une gestion algorithmique de ses travailleurs.

La Cour d’Appel de Paris dans plusieurs arrêts du 11 mai 2023 à propos de chauffeurs UBER le souligne : seule la géolocalisation du véhicule permet de mettre en relation dans le délai le plus court possible un client et un chauffeur ; seule la détermination algorithmique du trajet permet de l’optimiser, un cerveau humain ne peut traiter aussi rapidement tant de paramètres ; enfin, sauf à voir mathématiquement s’allonger le temps d’attente du client, seul un taux raisonnable d’acceptation des courses justifierait le maintien du chauffeur dans le système, sous peine de déconnection.

En somme là où la Chambre sociale de la Cour de cassation voyait dans la subordination algorithmique tous les éléments d’une subordination juridique entrainant requalification en contrat de travail, la Cour d’appel de Paris, dans le sillage de la position française défendue à Bruxelles, justifie le modèle économique de la plateforme et le statut d’indépendant de ses travailleurs

L’enjeu, c’est la protection par le droit du travail et les droits sociaux. On aurait pu utiliser le critère de la subordination algorithmique pour rattacher les travailleurs de plateformes au régime général de sécurité sociale. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait en France : on a créé le travailleur indépendant qui est dépendant au regard des modalités de réalisation de la prestation et de fixation du prix, qui entraine une responsabilité sociale de la plateforme. Pour la catégorie particulière des chauffeurs de VTC et livreurs à vélo, on a organisé un « dialogue social » avec les plateformes.  La conception des algorithmes qui est au cœur du modèle économique des plateformes devrait faire l’objet d’un débat contradictoire et entrer dans  le champ de la négociation collective, mais ce n’est pas encore le cas.

En réalité, tout est en place en France pour faire barrage à la présomption de salariat de la future directive européenne. Cette directive sur laquelle vingt-cinq Etats membres se sont mis d’accord lundi 11 mars (l’Allemagne s’est abstenue et la France est seule à s’opposer au texte) encadrera la gestion algorithmique des travailleurs des plateformes, qu’ils soient salariés ou indépendants.

Ce cadre se traduira par une information des travailleurs sur les systèmes de surveillance (quelles données sont collectées pour superviser) et les systèmes de prise de décision automatisés (quels paramètres sont pris en compte) ; il prévoit aussi une supervision humaine, par des évaluations de l’impact sur les personnes des décisions algorithmiques et enfin une explicabilité des algorithmes, avec un principe du contradictoire. C’est déjà prévu par l’article 22 du RGPD qui encadre la prise de décision entièrement automatisée. C’est aussi en ligne avec le règlement sur l’Intelligence Artificielle qui entrera en vigueur dans les tout prochains mois, qui impose un principe de transparence et de garantie humaine pour les systèmes d’IA.

L’emploi, la gestion des travailleurs et l’accès au travail indépendant font partie des systèmes d’IA à haut risque, avec des garanties spécifiques pour les fournisseurs et utilisateurs de ces systèmes d’IA. Le scoring fait partie des systèmes interdits, de même que les SIA qui exploitent les vulnérabilités, ce qui pourrait impacter le travail de plateforme.

La gestion algorithmique, sorte de boîte noire de surveillance et évaluation des travailleurs sans recours humain, entraîne des risques pour la santé physique et psychologique des travailleurs contre lesquels la santé et sécurité au travail pourra constituer un  rempart : le salariat reste protecteur !


Élise DEBIÈS

Avocate au Barreau de Paris

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