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  • Writer's pictureMiguel Garre

Quelle protection sociale pour les travailleurs des plateformes ?

Élise DEBIÈS, avocate au Barreau de Paris


La réforme des retraites a eu le mérite d’ouvrir un débat sur le travail et sa pénibilité, avec les conditions de travail et la protection sociale des plus précaires, dont les travailleurs de plateformes, au cœur des enjeux. Plus globalement à travers le débat sur leur statut, c’est la conception et l’avenir du salariat et des nouvelles formes d’emplois qui se joue.

Une proposition de directive européenne prévoit d’encadrer leurs conditions de travail pour que ces travailleurs aient le bon statut professionnel au regard de leur véritable relation avec la plateforme. La Commission considère que 5,5 millions de travailleurs des plateformes pourraient être victimes de salariat déguisé en Europe, sur 28 millions. Ce nombre devrait atteindre 43 millions en 2025. Pour leur donner accès au droit applicable à leur situation en matière de travail et de protection sociale, la directive instaure une présomption de salariat au profit de ces travailleurs. Le parcours du texte n’est pas terminé, avec des rebondissements en série qui reflètent les dissensions fortes entre Etats européens sur la question. La position protectrice du Parlement européen, qui instaure une présomption de salariat (ce serait aux plateformes de prouver que les travailleurs sont indépendants) sera vraisemblablement in fine assortie de critères.

Dans ces débats européens, la France est fortement opposée à la présomption de salariat. Elle soutient une approche particulière, non par le statut mais par les droits des travailleurs. C’est cette approche qui préside au par exemple au compte carrière mis en œuvre pour le droit à l’information sur la retraite, qui permet de suivre l’acquisition des droits à retraite quels que soient les changements de statut au cours de la carrière, indépendants, salariés et quels que soient les régimes d’affiliation. Le projet de  réforme des retraites du premier quinquennat Macron capitalisait sur cette logique de compte alimenté par des points, et sur le rapprochement en marche des régimes, avec notamment l’intégration du régime social  des indépendants au sein du régime général de sécurité sociale, effective depuis 2020. Pour autant, tous  les indépendants et en particulier ceux qui cotisent peu comme les travailleurs des plateformes, sont loin d’avoir les mêmes droits que les salariés.

Les travailleurs des plateformes sont majoritairement des micro-entrepreneurs. Ils vont bénéficier d’une couverture maladie, en tout état de cause par la PUMA et peuvent se protéger volontairement contre les accidents du travail. En matière de retraite, les micro-entrepreneurs doivent avoir réalisé des montants minimaux de chiffre d’affaire pour cotiser pour leur retraite, horizon souvent éloigné de leurs préoccupations et de leur capacité financière.

Le code du travail prévoit une  responsabilité sociale des plateformes, dès lors que les travailleurs en sont dépendants, c’est-à-dire que la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation et son prix. La responsabilité sociale entraine la prise en charge par la plateforme de la cotisation du travailleur à l’assurance volontaire en matière d’accident du travail, sauf si la plateforme a souscrit un contrat collectif. Cette responsabilité sociale inclut aussi que la plateforme abonde le compte personnel de formation, dans cette logique de droits et non de statut.

Un dialogue social a été prévu pour les chauffeurs de VTC et pour les livreurs à vélo. Des élections ont eu lieu en mai 2022, avec un succès très relatif puisque moins de 2 % des livreurs ont participé au scrutin. Deux sujets étaient sur la table : la rémunération et la déconnexion abusive par les plateformes. Si le premier a officiellement abouti, les résultats concrets sont catastrophiques avec un prix moyen des courses à vélo qui a dégringolé. Comment contribuer à sa protection sociale si on n’a pas les moyens de se nourrir et se loger ?

 Pendant ce temps-là les tribunaux français continuent à majoritairement requalifier en salariat les relations de travail des plateformes avec leurs travailleurs, dès lors que les caractéristiques du salariat sont réunies. Le modèle économique innovant promu, pour l’instant ne fait pas ses preuves. Il permet juste d’occuper le terrain pour repousser l’avènement de la directive européenne et la présomption de salariat.

Ce « modèle » à la française prive aussi les caisses de sécurité sociale des cotisations sociales des plateformes. Ce point est souligné et chiffré par la  Commission européenne. Ce sont aussi des travailleurs mal protégés en cas d’accidents du travail et très exposés à la pénibilité, donc demain des travailleurs usés s’ils doivent continuer à travailler sans avoir droit aux mesures protectrices en cas de pénibilité, ou des retraités pauvres s’ils n’ont pas cotisé assez pour se constituer des droits à retraite. Le report de l’âge de la retraite ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les conditions de travail et la protection sociale des plus précaires.

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